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Assemblages : l’union fait la finesse

6 mars 2017, par Nico

Un article où l’on parlera d’œnologie, et de dégustation, peut-être d’un peu de chimie, et aussi d’un peu de magie.

En ce moment, chez nous, les cidres sont en fin de fermentation, c’est à dire qu’une bonne partie du sucre contenu dans les moûts sortis du pressoir s’est transformée en alcool, et qu’ils sont presque prêts, prêts à être mis en bouteilles, prêts à être dégustés.

Presque prêts, et c’est le presque qui est important car il faut savoir et prendre en compte deux choses :

  • 1) Les premiers cidres ont été pressés au mois d’octobre, les derniers presque à Noël, il est donc logique que les premiers cités soient plus "en avance" que les derniers.
  • 2) Au moment du pressage, les pommes sont pressées à maturité optimale, ce qui veut dire par exemple, qu’on ne peut que difficilement presser ensemble une variété mure fin septembre et une autre début décembre (l’une ne sera pas assez mure, l’autre trop et/ou inversement...).

Nous travaillons avec une trentaine de variétés de pommes à cidre différentes, avec chacune leurs caractéristiques propres et leur qualités qu’il nous faut conjuguer au mieux.

Oui mais, nous, si on veut quand même avoir un cidre où l’on trouve, entre-autres, des jus issus de ces deux variétés, parce qu’elles nous plaisent toutes les deux et puis que, d’abord, hein quand même, quoi !?...alors ?...

C’est là qu’intervient le travail que nous avons commencé la semaine dernière : le travail d’assemblage.

Les assemblages, c’est tous les ans un moment passionnant, car c’est à ce moment là que l’on se rend compte du potentiel et de la qualité de chaque cuvée.

En dégustant calmement, dans un moment privilégié uniquement dédié à cela et hors de la cave, notre perception est souvent plus objective et le fait d’être plusieurs autour de la table permet de discuter et de varier les points de vue.

C’est aussi un moment crucial, car c’est à ce moment là que l’on va définir les orientations et objectifs de l’année, créer un produit fini et finaliser un processus commencé quelques mois plus tôt lors du pressage.

A titre de comparaison, c’est la justesse et la précision du mélange du chocolat, des œufs du beurre et de la farine à bonnes proportions qui fera, cuisson mise à part, la qualité du gâteau !... (comparaison, qui, soit dit au passage marche aussi en remplaçant les ingrédients suscités par des pelles de sable et de gravillons, de l’eau et des sacs de ciment...).

Concrètement, il s’agit pour nous de prélever un échantillon représentatif de chaque cuvée, de le déguster, et d’en dégager les qualités et/ou défauts.
La dégustation se passe toujours en trois temps ; à ce stade l’accent est surtout mis sur les étapes 2 et 3 :

1) l’œil juge la robe,

Une différence de robe

2) Au nez, on apprécie les arômes et on note d’éventuels défauts

  • des exemples d’arômes positifs régulièrement décelés : fruits exotiques, miel, fleuri, fruits blancs (pêche, nectarine), bonbon anglais, caramel, anisé etc...
  • des exemples d’arômes considérés comme plutôt négatifs : arômes dits "animaux "(rusticité, cuir, musc) , et pharmaceutiques ("colle scotch")...

3) En bouche, on s’attarde à catégoriser les 3 saveurs que l’on retrouve dans les cidres : acide, amer, et sucré. On note aussi des sensations comme l’astringence.

Vous pouvez approfondir par ici :
L’Art de la dégustation sur le site du CIDREF

Une fois chaque cuvée critiquée et définie, nous choisissons sa destination. Nous proposons depuis plusieurs années 3 cuvées de cidre ; chacune a son caractère propre, et d’année en année, nous essayons de respecter leurs identités respectives.

Nous assemblons donc les cuves entre-elles en fonction d’un résultat final espéré. Nous faisons en sorte, par exemple, de limiter la saveur amère dans une des cuvées, de la privilégier, associée à la rondeur dans l’autre, et d’arriver toujours à un équilibre sucre/amertume/acidité.

Chaque cidre pourrait finalement être représenté par un point sur un graphique en triangle en fonction de ces trois saveurs.

Les assemblages se font en direct, à échelle réduite avec les échantillons prélevés sur chaque cuvée. C’est un petit peu "l’atelier du petit chimiste", les blouses blanches en moins. On mélange, on goûte, (on crache) on remélange, on re-goûte (on recrache), on rajoute un peu de cette cuve-ci pour son côté fleuri, une peu de celle-là pour la longueur en bouche qu’elle va apporter, on re-regoûte (on oublie de cracher...), etc...

Cela permet de tester différents pourcentages, différentes possibilités et d’affiner au mieux en fonction de l’objectif à atteindre. Une fois l’assemblage sur table validé, les millilitres se transforment en hectolitres à grands coups de tables de multiplication, et nous refaisons les assemblages "grandeur nature" en cave avec les cuvées sélectionnées.

Parfois certaines cuvées peuvent se présenter déjà bien représentatives du cidre que nous souhaitons, dans ce cas, pas besoin d’assemblage, la cuvée pourra être mise en bouteille telle quelle !

Chaque cuvée n’est pas forcément utilisée dans sa totalité. On assemble souvent par pourcentage pour apporter ou bien un peu d’acidité, ou un peu d’amertume, ou un peu plus de sucre à l’assemblage final. Certaines cuvées sont carrément éliminées dès le départ : celles les moins intéressantes aromatiquement par exemple. Il y a donc des restes ; des pourcentages de cuvées non-utilisées mais aussi des cuvées entières qui se retrouvent sur la touche. Celles-ci ne seront pas perdues pour autant, en fermentant plus longuement, elles vont développer d’autres qualités, différentes de celles recherchées pour le cidre, et vont peut être pouvoir être distillées pour produire par exemple du Lambig de Bretagne AOC.

Et oui, faire un (si possible bon) cidre, c’est donc beaucoup d’étapes depuis la récolte, le pressage, en passant par la fermentation, les soutirages et filtrations, les assemblages, la mise en bouteille, jusqu’à la prise de pétillant en bouteille (refermentation) et enfin la dégustation !

Le calendrier "classique" chez nous, pour un cidre en pétillant naturel, suit le rythme des saisons :

  • une récolte et des pressages s’étalant d’octobre à fin décembre
  • une fermentation en cuve pendant 3 à 5 mois
  • des assemblages réalisés en fin d’hiver
  • une mise en bouteille au printemps,
  • et une dégustation du nouveau cidre avec l’arrivée de l’été !

(les durées et périodes données peuvent bien sûr être très variables, raccourcies ou étendues selon les années... (En résumé, la production de cidre est loin d’être une science exacte !)...

A bientôt !

Vos commentaires

  • Le 6 mars 2017 à 20:01, par Isabelle En réponse à : Assemblages : l’union fait la finesse

    Bravo pour la leçon d’assemblage ! Quand tu en auras marre de faire du cidre, tu pourras toujours devenir conseiller pédagogique dans l’Education Nationale !!!
    Bisous à vous 2

  • Le 7 juillet 2021 à 23:50, par Christian Barbé, Lausanne En réponse à : Assemblages : l’union fait la finesse

    Merci pour cet article, et tous les autres….

    Bien expliqué, pédagogique, bien illustré, avec une pointe d’humour, comme un bel assemblage.

    Dans l’attente de venir vous voir.

    À bientôt
    Christian

  • Le 23 décembre 2023 à 23:14, par Gilles En réponse à : Assemblages : l’union fait la finesse

    Bonjour - merci pour ces informations utiles
    Un élément que vous ne précisez pas c est comment vous gérez les différentes densités entre les moûts ? Est ce que ça rentre en ligne de compte dans votre assemblage ? Et comment les moûts réagissent quand ils sont mélangés avec différents niveaux de densité ? Merci. Gilles

  • Le 26 décembre 2023 à 20:45, par Nico En réponse à : Assemblages : l’union fait la finesse

    Bonjour !

    je gère.... comme je peux ! Disons, que pour chaque cuvée, j’ai un objectif en termes de densité, et après je m’arrange pour stabiliser (concrètement : filtrer) mes cuvées à la densité voulue d’embouteillage. mais comme tout ne fermente pas à la même vitesse, c’est toujours un peu délicat, bien sûr. J’essaie de sentir le plus tôt possible quelle cuve se destinera à telle ou telle cuvée, et d’avoir toujours en tête la densité "objectif". Selon les vitesses de fermentation, il m’arrive de stabiliser des cuvées plus hautes, et d’autres plus basses en densité, l’assemblage faisant ensuite une moyenne...
    Deux cidres (parce qu’au moment des assemblages, il s’agit déjà de cidres) assemblés, avec une petite ou une grosse différence de densité peuvent réagir assez fortement (mousse abondante par exemple) ou être parfaitement calmes... Je pense que plus que la densité, c’est la composition "chimique" des cidres qui fera que la réaction sera plus ou moins "moussante".
    Il faut se méfier et y aller doucement, car l’épaisseur de mousse peut rapidement être impressionante et "déborder" de la cuve.
    Après, en règle générale, j’assemble des cidres filtrés, donc débarassés d’une grande partie de leurs levures, dépôt, etc. La réaction est donc très contenue. JE procède souvent à un remontage poiur bien homogénéiser le tout.
    L’assemblage accentue ou révèle même parfois dans le mélange des choses insoupçonnées à la dégustation des cuvées individuelles !

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